Solstices by Herménégilde Chiasson

Auteur:Herménégilde Chiasson
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782894235089
Éditeur: Prise de parole

Regards

Cela a pris le temps qu’il a fallu. Cela a pris mille ans et entre-temps nous avons mis au monde tous les mondes dont il nous aurait fallu tenir compte. Ce n’est pas vraiment de notre faute. Il a fallu mettre un terme à notre désarroi. Il nous a fallu apprivoiser la nostalgie pour ce qu’elle est, la replacer dans son contexte. Une démesure dont on s’applique à nier le fondement.

Il est primordial de faire une sorte de parcours arrière et de revoir au passage des fragments, des éclats, des éclaboussures qui ne nous appartiennent pas vraiment. Il est parfois étrange de s’inquiéter pour des moments qui n’ont pas été vécus à leur intensité maximale ou dont l’inconscience nous a momentanément échappé, perclus que nous étions à regarder ailleurs, à évaluer le cours des nuages dans la marche du temps, à nous concentrer sur la texture des matières ambiantes, à faire d’obsédants calculs, à regarder le temps qui s’effiloche, à nous laisser distraire par l’effet du vent sur la paroi du monde, le cours des marées, le sens de l’à-propos, le revirement soudain de toute une panoplie de vérités que nous avons trop souvent tenues pour acquises et qui refont surface dans le doute et le désarroi, une sorte de vocabulaire d’emprunt dont il ne reste que des enveloppes vides de sens.

Vous mettez un certain nombre d’éléments ensemble. Le premier, le plus prenant sans doute, est l’image retrouvée par hasard d’une femme dont le corps se détache lumineux et phosphorescent dans l’entrée d’une maison que l’on pourrait qualifier d’abandonnée. Les questions d’usage, les interrogations nombreuses, les indices introuvables sous les décombres, les poutres qui se sont écroulées dans le salon, les traces parcimonieuses qui ne cessent de nous interpeller. On aimerait trouver des lettres, des factures, des livres, leur trouver un passé, retracer leurs rêves sous les couches de papier tenture, une histoire qui ressemblerait à l’idée qu’on s’en est fait, se complaire dans la découverte d’un échec, d’un aveu, d’un éternel départ. Cette maison qu’ils ont laissée périr tandis que la ville les absorbait ou qu’ils ont quittée à regret, refermant cette porte béante que la pluie et le vent se sont chargés d’enfoncer ou qu’ils ont voulu vendre sachant bien que personne ne viendrait s’enterrer aussi loin.

Il fait noir et sans doute humide et probablement triste à l’intérieur de cette structure délabrée. La femme touche le linteau de la porte et elle regarde par terre et contre elle il y a toute cette obscurité qui se colle à sa nudité, qui l’enrobe, qui l’encadre et fait en sorte que tout son corps chante comme une couleur qu’on souligne avec l’obsédante rigueur du noir et blanc. Il doit faire chaud sur son corps car même si vous étiez là avec elle, vous n’êtes pas certain de vous en souvenir, de toute manière ça ne changera pas grand-chose puisque la mémoire ne peut plus pénétrer la surface et le sens fragile que donne le papier à son regard, à ses

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